La littérature en péril
Un brûlot édité en 2007 par Tzvetan Todorov et son analyse critique par Samuel Bidaud, universitaire.
Todorov formaliste dans les années 60-70
Dans un premier temps, Todorov raconte brièvement son parcours : Bulgare, il s’est exilé en France à l’âge de 24 ans, fuyant les idéologies de son pays communiste. La littérature se limitait à l’illustration des idées politiques prônées. A Paris, à la Sorbonne, il fait la connaissance de Genette et de Barthes. Tandis qu’il n’a connu personnellement ce dernier que quelques années parce que Barthes « consommait très rapidement les jeunes étudiants et chercheurs » qui collaboraient avec lui, il a entretenu une réelle amitié avec Genette. Avec lui, il a fondé la revue Poétique. C’est Genette également qui a soumis à Sollers son premier manuscrit de Théorie de la littérature, anthologie des formalistes russes, publiés en 1969, dans la revue Tel Quel.
A cette époque, Todorov est un formaliste, comme Genette ou Barthes : ils ont tenté d’expliquer ainsi les œuvres littéraires par leur structure particulière. Ainsi, Barthes a par exemple expliqué le fonctionnement des tragédies de Racine par une structure qui se retrouverait dans l’ensemble de son œuvre. Finalement, Todorov est revenu de cette méthode trop rigide. Il s’est rendu compte que sa façon d’analyser la littérature était liée au pays dans lequel il se trouvait. Ainsi, en Bulgarie, pour échapper à l’étude d’œuvres idéologiques, il s’en est tenu à l’étude de leur forme. Mais depuis qu’il est devenu citoyen français, il est libre d’exprimer ses idées et a élargi le champ de ses intérêts.
« Une conception étriquée de la littérature » : remise en cause de l’enseignement et des critiques
Pourtant, même s’il a ouvert son champ d’étude, il semble renier cette période formaliste puisqu’il déclare qu’ « une conception étriquée de la littérature, qui la coupe du monde dans lequel on vit, s’est imposée dans l’enseignement, dans la critique et même chez nombre d’écrivains. Le lecteur, lui, cherche dans les œuvres de quoi donner sens à son existence. Et c’est lui qui a raison ». Pour lui, la littérature l’aide à vivre. Or, depuis des années, les écrivains ne traitent plus de la condition humaine et n’ont plus de visée universelle. Désormais, à cause de cela, et parce qu’elle est trop auto-centrée, la littérature française jouirait d’un moindre prestige à l’étranger. Selon lui, tandis qu’il a prôné le formalisme, qui a été enseigné dans les écoles comme dans les universités, il dénonce désormais le fait que les professeurs théorisent la littérature au lieu de l’analyser. Ces derniers utiliseraient trop les outils d’analyse proposés justement par les structuralistes au lieu d’ouvrir les textes à une compréhension globale. Un exemple : en 6ème par exemple, on enseigne le schéma narratif des contes au lieu de lire les lire pour eux-mêmes, dans leur spécificité. Todorov déplore également le fait que les lycées se détournent de plus en plus de la filière littéraire et la choisissent souvent par défaut, parce qu’ils ne veulent pas faire de mathématiques. La littérature n’est plus perçue comme une matière noble, riche d’enseignements.
Enfin, les critiques littéraires ont une part de responsabilité. Ce sont eux qui encouragent les écrivains à suivre un modèle unique.
Une littérature formaliste, nihiliste et soliptique
Selon Todorov, il y aurait une nette séparation entre le monde créé par la littérature et le monde dans lequel nous vivons. Actuellement, la littérature serait formaliste, elle s’attacherait à la forme plutôt qu’à son contenu. Elle aurait également des tentations nihilistes lorsqu’elle décrit le monde comme un lieu invivable ou en le réduisant à un être individuel, seul, dont son seul intérêt est de ne parler que de lui. Todorov ne nomme personne et déclare : « sans autocensurer cette littérature, on peut souhaiter que la littérature ouvre un peu plus ses portes ».
Mais cette thèse sur la littérature formaliste, nihiliste et narcissique ne date pas d’aujourd’hui. Le livre de Todorov en retrace les principales étapes. A partir du 18ème siècle, on a opéré une double révolution dans la perception de la littérature : on est passé de l’idée d’une imitation de la nature à une imitation de Dieu par l’écrivain : celui-ci devient créateur d’un univers indépendant. Au 18ème siècle, néanmoins, il n’y avait pas encore de rupture avec le monde commun. Ensuite, au cours de la 1ère Guerre mondiale, les auteurs poursuivent ce mouvement engagé et choisissent la voie formaliste, solipsiste et nihiliste.
Un lecture revigorante et qui interroge aussi notre approche des textes littéraires dans nos classes complétée par un numéro de Sciences Humaines consacré à la littérature, fenêtre sur le monde, et dont l’article s’essaie de répondre à la question : pourquoi lit-on des romans ?
http://www.scienceshumaines.com/pourquoi-lit-on-des-romans_fr_25791.html